On évoque beaucoup en ce moment le quarantième anniversaire de mai 68 et la révolte de la jeunesse, à qui la société imposait alors des modes de vie et d’études qui ne correspondaient plus à la société d’après guerre dans laquelle ils vivaient, et ils avaient raison. La société diversifiée, aux valeurs éclatées et aux connaissances de base nécessaires pour s’intégrer qui évoluaient de façon exponentielle en fonction de l’évolution des technologies ne correspondait plus à notre enseignement, où l’on continuait à accumuler des connaissances sans justifier leur utilité, compte tenu de l’évolution sociale. A quoi servent l’orthographe, la grammaire ou les maths qu’ils devaient assimiler ? Les étudiants, rapidement rejoints par les lycéens, sont alors descendus dans la rue. Mais les problèmes de l’enseignement commençaient dès le C.P.
Aujourd’hui les fondamentaux sont les mêmes mais leur contenu est un peu différent, et surtout la façon de les enseigner est totalement différente, car le rôle du maître est aujourd’hui de mettre l’élève en situation de découverte puis de lui apporter les outils et techniques qui lui permettront de trouver les réponses aux questions qu’il se pose. Il ne s’agit nullement de mettre l’élève à la place du maître (comme le disent les ignorants de la pédagogie), mais de faire de l’élève le sujet et non l’objet de son enseignement (voir mon texte L’élève, sujet ou objet ? de mars 2007).Il faut lui apprendre à apprendre.
Il est intéressant de rappeler dans ce domaine les apports de Wallon et Piaget (voir mon texte d’avril 2004 sur ces deux auteurs).
Wallon, tout au long de son œuvre, insiste sur la communication ; pour lui c’est la communication qui fait la différence essentielle entre l’être humain et tous les autres animaux car elle permet d’échanger les expériences et les découvertes, elle est donc à la base des progrès de l’humanité. L’échange est donc le moteur du progrès de l’humanité.
Piaget a analysé l’acquisition et l’organisation des connaissances en ensemble utilisable par l’être humain. Pour être intégrée une connaissance doit correspondre à une attente, l’intérêt est indispensable pour assimiler une connaissance nouvelle, mais pour être assimilée, c'est-à-dire mémorisée et utile, les connaissances doivent obligatoirement s’organiser en structure. C’est cela apprendre : assimiler les connaissances, basées sur l’intérêt, et les organiser en structure. Le maître est là pour provoquer l’intérêt et surtout pour aider l’élève à construire sa structure de connaissances en les liant les unes aux autres et en les hiérarchisant.
Mais il ne faut pas confondre progression et structure. La progression est le travail du maître pour présenter les connaissances dans un certain ordre, (les programmes sont là pour l’aider), la structure est le résultat du travail de l’élève pour organiser dans sa mémoire l’ensemble des connaissances acquises.
Prenons quelques exemples dans le domaine des fondamentaux pour illustrer notre propos :
Calcul. Le nombre. C’est le signe de la quantité, qui permet de la représenter et la mettre en mémoire. Il faut donc, avant d’aborder le nombre, faire acquérir par l’élève cette notion de quantité (ici le nombre d’éléments d’un ensemble). Dès la maternelle on peut aborder ce travail. Pour cela on peut faire des regroupements de ‘’choses’’, bonbons, cailloux, jetons…, assez différents mais pas trop importants (3 et 8 par exemple), qu’à ce niveau on peut appeler tas ou groupe, ou…, au choix de l’enseignant. On apprend alors à comparer, à évaluer, en utilisant les mots permettant la mise en mémoire : plus, moins, autant. On s’entraine à observer que la quantité est indépendante de la place des éléments : quand la classe de 22 élèves est complète il y a toujours 22 enfants, qu’ils soient en classe ou en récréation.
Au C.P. Il ne faut jamais oublier que l’école maternelle n’est pas obligatoire et que tous les élèves n’ont donc pas obligatoirement assimilé la notion de quantité, il faudra donc commencer par une révision, une consolidation, voire une acquisition de cette notion indispensable pour aborder la notion de nombre. On pourra alors commencer l’étude du nombre.
Pour cela il faut savoir mesurer la quantité. On donne alors le nom (mot et signe) des quantités déjà utilisées, car le maître connaît la réponse. L’élève découvre ainsi que chaque quantité à un nom, qui peut être mémorisé. On l’aide alors à construire la suite des nombres par ajout d’un élément au nombre précédent et on fait mémoriser cette suite de mots comme une comptine. L’enfant possède donc un outil pour décompter et trouver le nombre d’éléments d’un ensemble, et donc donner le nom et le signe de la quantité qui l’intéresse. On pourra ainsi passer à la numération (voir Arithmétique).
Il est à noter que 5, par exemple, n’est pas un nom mais un adjectif, ce qui veut dire que 5 tout seul ne signifie rien ; on doit dire ‘’5 choses’’. La quantité ne peut donc concerner qu’un ensemble défini. Insister sur ce fait mathématique avec les élèves.
Quand le nombre sera assimilé on pourra passer à la somme, réunion de deux ensembles de même nature. On peut toujours décompter les éléments du nouvel ensemble et trouver ainsi la quantité. On le fait faire aux élèves en variant la nature des éléments, mais toujours avec les mêmes nombres. L’élève découvre alors que 3+2 par exemple fait toujours 5. Il suffit donc de le mettre en mémoire. Et on apprend alors les tables d’addition qui évitent un fastidieux décompte. Certes la calculette dispense d’apprendre les tables, mais quand on ne l’a pas ? Il existe un moyen pour calculer la somme de deux nombres importants ou de plusieurs nombres, l’outil est une opération, l’addition.
On découvre par la suite qu’il en est de même pour la soustraction (tables d’addition à l’envers a+?=b), pour la multiplication (addition itérée) et la division (multiplication à l’envers ax?=b).
Les opérations sont donc des outils pour gagner du temps. Certes la calculette fait encore gagner plus de temps, surtout pour les opérations complexes, mais que faire si la calculette me fait défaut ? Il faut donc que je sache toujours faire les opérations de base. De plus le calcul mental est plus rapide que la calculette. Expérience : le maître donne l’opération suivante à faire 54x11 et écrit en même temps le résultat au tableau 594, avant que les enfants aient fini d’interroger leur calculette.
Pour les problèmes pensons à Piaget. L’élève doit être intéressé par la situation qu’on lui propose et sur laquelle on lui pose une question. Il faut donc que le texte du problème soit très clair pour tous les élèves, pour qu’ils puissent vivre la situation. On peut d’ailleurs la jouer ou la concrétiser pour en être sûr. L’élève est alors en situation vécue et il doit imaginer la réponse et la construire.
FRANÇAIS . Le français permettra à l’enfant de communiquer (voir plus haut l’importance de la communication) et lire et écrire permet de communiquer avec une personne absente. Mais on oublie que l’essentiel de la communication dans la vie se fait oralement, et c’est donc l’élocution qui doit être d’abord maîtrisée chez l’enfant.
Dès la maternelle et au C.P. l’élocution occupe une place importante (il y a des ‘’leçons’’ d’élocution) mais après ? Notre société est en train d’appauvrir le français un peu plus chaque jour avec la pub, les S.M.S. et les négligences inadmissibles des médias. C’est donc en permanence en classe, dans tous les messages oraux, que chacun, maître y compris, doit être vigilant et exigeant. Pour l’écrit, le travail doit porter par priorité sur la pensée de l’enfant pour qu’il soit intéressé. En effet vocabulaire, orthographe, grammaire servent à exprimer la pensée avec le maximum de précision et à comprendre la pensée des autres. Il faut donc commencer par exprimer correctement sa propre pensée.
Pour cela la rédaction, ou mieux le texte libre, qui permet à l’élève de choisir son thème, doit servir de base au travail. La correction individuelle (consolidation de l’acquis), par groupes (révision) ou pour toute la classe (découverte collective d’une nouvelle connaissance sous la direction du maître), permet à l’enseignant de choisir le texte intéressant pour une leçon. On respectera ainsi la règle pédagogique de base : créer l’intérêt en découvrant une situation nouvelle (imprécision ou erreur) et utiliser les outils disponibles pour intervenir.
Mais les fondamentaux , à mon avis, comportent aussi l’instruction civique car c’est l’éducation à la vie en commun, indispensable pour l’être humain.
INSTRUCTION CIVIQUE. Essayons d’abord d’y voir clair. On confond en permanence éthique et morale. L’éthique est la structure des valeurs personnelles qui guide en permanence nos pensées et nos actions, la morale est la structure des valeurs collectives qui organise la vie d’un groupe et lui permet de se développer. L’éthique se construit donc dans la famille au cours de l’enfance, par contre l’école, et l’école publique en particulier, est le lieu privilégié pour construire la morale. La morale en effet concerne la vie de groupe, du couple aux nations et à l’humanité entière, c'est-à-dire tout ce qui fait notre vie quotidienne : famille, amis, relations, associations, religion, partis politiques, syndicats, collectivités administratives (de la commune à l’Europe et à l’O.N.U.). Or l’élève vit une vie collective avec la classe et l’école, régies l’une et l’autre par un règlement spécifique. Faire participer l’enfant à l’élaboration et au respect des règlements c’est l’intéresser à la morale et à la nécessité de la respecter dans le groupe. Cela évitera les conflits à tous les niveaux qui empoisonnent notre vie sociale, de plus en plus individualiste,faute d’avoir compris l’utilité de la morale. L’individu n’est pas premier, il n’existe que grâce aux autres en tant qu’être humain : ce sont les autres qui font de moi un être humain.
L’instruction civique fait donc partie des fondamentaux
CONCLUSION.
Il s’agit donc aujourd’hui pour l’école de susciter le désir d’apprendre chez l’élève (lui donner soif, comme disait Freinet dans les années 1920) et l’aider à construire ses structures de connaissances et de valeurs.
Pour cela on pourrait d’abord revoir les très nombreuses expériences qui ont été menées dans tous les domaines de l’éducation, et s’en inspirer ! Mais aujourd’hui les réformes ignorent systématiquement, semble t’il, le passé, oubliant que toute institution a une histoire et que tout progrès ne peut être réalisé qu’en tenant compte de cette histoire.
Nous verrons si les nouveaux programmes les prennent en compte.