La prévention des conflits par le message clair

Nos classes de cycle II et III accueillent des enfants qui, pour beaucoup, passent la plupart de leurs loisirs dans les rues, au bas de leurs immeubles. Or, comme dans toutes les autres écoles, du moment où les enfants ont quelques libertés, ils en viennent naturellement à avoir quelques différends avec leurs copains et copines. Ces petites histoires naissent dans la classe, dans la cour ou même proviennent de sombres jeux mal finis en dehors de l’école. Au début, lorsque rien de précis n’avait été mis en place, tout ceci pouvait se terminer par des insultes qui jaillissaient, des coups qui partaient, les plus forts qui emportaient le morceau, des enseignants de service heureux de voir la récréation se terminer et des parents qui venaient à la sortie de l’école régler « à leur façon » ce qui était resté en suspens. Dans ces périodes, les conseils de coopérative ne servaient plus à rien et même, perdaient tout leur sens parce que n’étaient plus utilisés que comme des tribunaux.

Notre souci était de permettre aux enfants de sortir de ces petites querelles par eux-mêmes, avec un moindre recours à l’adulte, de manière à ce qu’ils développent des aptitudes pouvant aussi être employées dans d’autres lieux et d’autres moments que ceux de l’école. Il s’agissait également d’évacuer la notion même de victoire ou de vainqueur dans un conflit et de susciter la satisfaction d’aboutir à un authentique compromis où chacun pouvait trouver une place lui permettant de ne pas entrer dans la spirale de la violence.

Les travaux de Danielle JASMIN nous ont alors conduits vers ce qu’elle appelle les « messages clairs. (JASMIN D. « Le conseil de coopération », Editions de la Chenelière.) 

Un message clair est une petite formulation verbale entre deux personnes en conflit : une victime, qui se reconnaît comme ayant subi une souffrance et un persécuteur identifié par la victime comme étant la source de ce malaise. Il part du principe que si l’on souhaite sortir d’un problème relationnel, il vaut mieux s’attacher aux solutions qu’aux raisons qui en sont la cause. Ainsi, un message clair ne conduira pas des enfants à rechercher le pourquoi de ce qui les oppose. En revanche, il préfèrera orienter leur discussion vers des idées qui pourraient résoudre le différend.

De manière précise, ce message clair s’énonce ainsi :

1 - « Ce que tu m’as fait m’a fait souffrir et je vais te faire un message clair. »

2 – « Quand tu … » La victime explique ce qui s’est passé.

3 – « Ça m’a … » Elle exprime avec des mots les émotions qu’elle a ressenties.

4 – « Est-ce que tu as compris ? » La victime demande au persécuteur si le message était bien clair et, par là même, s’il est d’accord pour ne plus recommencer voire s’excuser.

Un message clair se veut donc une rencontre non-violente entre deux personnes en conflit qui vont être amenées à se dire d’abord ce qui, dans les faits, a été la cause de la souffrance et ensuite les sentiments que ces faits ont produits (ce que ça fait dans les cœurs).

Lorsque celui qui est identifié comme le persécuteur accepte le message clair (« Oui j’ai compris », « Je m’excuse », « J’aurais pas dû te faire ça », …), le conflit est très souvent résolu et rapidement oublié. Lorsqu’en revanche, ce persécuteur refuse le message clair (« Je suis pas d’accord », « Oui mais toi tu m’avais fait ça », moqueries, rires, …), la victime est alors en droit de déposer une critique au conseil, lui demandant ainsi de trouver une solution ou même de solliciter un adulte pour tenter de régler le problème.

Dans les faits, environ ¾ des conflits peuvent être résolus à travers ces messages clairs. Ces réussites tiennent à deux facteurs. Pour la victime, c’est l’occasion de voir sa souffrance prise en compte et donc de se sentir soulagée d’avoir pu honnêtement exprimer ce qui lui faisait mal. Pour le persécuteur, c’est un moment important : d’une part parce qu’il va avoir la possibilité de prendre conscience qu’une de ses attitudes a pu entraîner une souffrance et d’autre part parce qu’il va pouvoir marquer son regret. A l’inverse, lorsqu’un message clair n’aboutit pas positivement, sa tentative permet au moins de situer les échanges dans la parole qui devient alors un tiers médiateur sur lequel les enfants peuvent s’appuyer en lieu et place des agressions physiques.

Une des principales conditions pour qu’un message clair puisse être utilisé efficacement est qu’il s’adresse à des enfants sensibilisés. Nous avons choisi pour cela d’organiser de petites formations dans chaque classe. Elles consistent à ce chacun découvre d’abord ce qu’est le message clair (le plus souvent une simple démonstration suffit), sache ensuite dans quelles situations il peut être employé (ni pour des « tas de sables », ni pour des problèmes importants) et enfin en maîtrise la formulation (la double acception « Ce qui s’est passé – Les émotions ressenties »). Nous utilisons souvent des jeux de rôles dans lesquels les enfants s’investissent pour s’essayer de manière fictive à la démarche. A la suite de cette courte séance, certains enfants parmi les plus compétents peuvent devenir des « maîtres-messages-clairs » au service de ceux qui n’y arrivent pas encore par eux-mêmes.

Ces messages clairs se déroulent sans la présence de l’adulte et, en fonction de ce qui se décide dans chaque classe, notamment à travers le conseil, ils peuvent se faire pendant les récréations ou lors des moments de classe, dans le couloir.

Il nous arrive aussi de voir quelques enfants venir nous faire un message clair ou même, à notre tour, d’en faire un à quelqu’un avec qui on a eu un problème de relation. Quand on n’y est pas habitué, ce sont des situations assez particulières à vivre mais qui permettent aux enfants d’entrer dans une relation de respect mutuel et de coopération. Le principe est alors qu’une fois ce climat de classe atteint, il permette à chacun de se construire en tant que personne authentique et responsable.

Sylvain CONNAC – ICEM34 – Ecole Antoine BALARD

 

 

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