Intervention d’Yves Reuter sur le projet d’école Freinet à Mons en Bareuil (59)
(Université de Lille III – Equipe de recherche Théodile)
Trois préalables :
- intervention en tant que chercheur et non-praticien
- intervention individuelle au nom d’un collectif de recherche
- intervention trop rapide au regard de la complexité du terrain
1 – Mise en place de l’expérience pédagogique
Mise en place dans un groupe scolaire entier, dans un milieu précaire, atypique dans le paysage scolaire français. Les résultats et l’ambiance de l’école n’étaient pas bon.
L’inspecteur de circonscription a souhaité organiser une dynamique autour de cette école. Sans cet IEN, rien n’aurait été possible. Il y a aussi un poids des acteurs du côté de l’ICEM et de l’équipe de recherche. Les partenaires territoriaux ne sont pas intervenus. Il a donc fallu trouver des crédits. L’expérience a débuté en septembre 2001.
Trois questions principales :
- comment ce modèle pédagogique fonctionne-t-il ?
- quels sont les effets générés ?
- peut-on parler de transférabilité ?
Les principes méthodologiques :
- recherche non-collaborative pour garantir qu’il n’y ait pas de modification du fonctionnement, garantir la scientificité de l’approche et laisser un temps d’analyse
- travailler sur un temps long, 5 ans au minimum
- étudier une multiplicité de dimensions, prémunir d’une approche globalisante
2 – Le fonctionnement de l’école
L’école est centrée sur les apprentissages. Les apprentissages et l’élève sont au centre du système.
C’est l’élève et lui seul qui apprend : nul autre ne peut le faire à sa place. Enseigner c’est permettre et étayer les chemins, les stratégies, les rythmes différents des élèves. Pour cela, le milieu permet à l’enfant de se construire en tant qu’élève. Tout se trouve à l’équilibre de deux notions : adhésion et enrôlement.
Le milieu permet à l’enfant d’apprendre à partir de ce qu’il sait. Il ne s’agit pas de répondre à des questions qu’il ne se pose pas mais de les susciter. Cela n’empêche pas la présence de questions auxquelles on ne répond pas immédiatement.
Ce cadre est fondamentalement sécurisant, ce qui permet les apprentissages. Tout est fait pour qu’il n’y ait plus de craintes et d’angoisses. Chaque élève est assuré d’être accepté, il peut bouger, parler, boire et travailler en même temps. Il s’agit aussi de sécuriser le travail lui-même, par le développement d’évaluations formatives. L’aide des maîtres et des pairs est systématique. De plus, les élèves n’ont pas peur de demander de l’aide.
Le temps est ajusté aux nécessités de chacun, qui a le temps de mener son travail à terme. Il peut donc y avoir de l’imprévu qui surgisse sans que cela ne déstructure l’ensemble.
Individus et collectif sont au service l’un de l’autre. Il n’y a pas d’opposition. On peut également parler de collectivités emboîtées.
Il est aussi question de "rigidité souple" : chacun est à sa place, adultes et enfants. Une fois ces places posées, les échanges sont possibles dans le respect mutuel. Tout le monde est soumis à l’identique aux mêmes lois et règles. De plus, personne n’est figé dans un destin, aucun élève n’est délaissé et enfermé dans ses difficultés personnelles.
Apprendre ne peut se faire qu’en travaillant. Cela repose sur une conception du travail qui n’est pas une aliénation. Tout est fait pour que l’élève soit initiateur, concepteur, acteur, propriétaire, auteur et bénéficiaire de son travail. S’il y a plaisir, il est dans le travail et non en amont.
Le travail est basé sur de la production, les élèves sont en activité perpétuelle. Ils réalisent de véritables projets, mènes de véritables recherches. L’action est au service de la réflexion, on construit des élèves réflexifs.
L’accent est porté sur le fait qu’il existe diverses stratégies face à un même problème. Il en va de même pour les rôles investis dans la classe, ce qui fait des élèves orchestres. Cela ne peut se faire que dans un cadre scolaire constamment construit et approprié.
On essaye d’éprouver la démocratie comme un bien commun à l’école et non pas à travers seulement un discours que l’on éprouvera plus tard. Les citoyens-élèves connaissent en même temps une rotation institutionnelle des rôles et des tâches.
Les loisirs associés à l’école sont à leur tour intégrés au projet : il s’agit d’une pédagogisation généralisée au service de la construction d’une culture commune. Cette culture va permettre de créer des identités collectives. C’est un mode de liaison entre culture scolaire et culture extra-scolaire.
Cette école constituée de manière autonome n’est pas refermée sur elle-même. Tout est associé à la fonctionnalité des savoirs, aux liens à tisser avec l’extérieur de l’école et le devenir de l’élève. Cela suppose une conception particulière des savoirs scolaires qui sont investis de sens, ils font l’objet d’une co-construction, sont posés comme provisoires puisque repris dans le cursus.
De la même manière, les parents sont accueillis régulièrement, interviennent lors d’ateliers, sont convoqués en cas de difficulté.
L’enseignant n’est pas seulement le guide mais devient celui qui permet les apprentissages. Plus qu’ailleurs, le maître est un homme orchestre. Ce n’est ni un psy, ni un consommateur, ni un acteur social, ni un réparateur. Ils ont pour souci obsessionnel la quête de ce qui pourrait aider l’élève sans nuire à son développement.
Il s’agit donc d’un système partagé par les maîtres avec un certain nombre d’implicites. On y rentre précocement. Nul y est impuissant. Tout le monde est confronté à des problèmes complexes. Chacun a pour légitimité de se questionner. On tente d’y réduire les motifs de souffrances. C’est un système de la continuité, tout élève est encouragé à aller au bout de ses projets. Les individus sont respectés : à priori, ce que dit un élève est intéressant.
3 – Les effets
Globalement, le bilan est positif. L’école s’est relevée : augmentation du nombre d’élèves, diminution des phénomènes de violence, meilleure intégration des lois, sentiment de justice plus fort. Il n’y a plus d’élèves laissés dans leurs coins. Le climat de travail s’améliore : moins de stress, plus de prise de risque, stimulation de tous. Le travail ne fait pas l’objet de discours dévalorisants. Parents, maîtres et autres élèves sont considérés comme des recours possibles face aux savoirs.
Les élèves progressent, leurs résultats sont au moins équivalents à ceux de publics similaires. Sur certains items, ils se rapprochent de ceux des élèves sans difficulté. De plus, il y a une moindre dispersion des résultats, ils sont moins hétérogènes, principal effet de la coopération et de l’entraide.
Le passage au collège est à creuser. Il n’apparaît pas plus problématique qu’ailleurs. Il n’y a pas d’effondrement de niveau. Les capacités réflexives permettent de mieux analyser les modifications de structures.
Pour les enseignants, il y a un développement de compétences collectives, d’aptitudes à travailler à plusieurs. Ils assument leurs responsabilités, ne se défilent pas devant les résultats. On repère aussi des effets sur les autres personnels, aides éducateurs et personnels de service. Les familles sont davantage satisfaites, ont l’impression d’être mieux informées, s’investissent plus dans l’école. Au niveau de la circonscription, il y a une sorte de compétition qui s’engage entre les écoles : globalement, les résultats deviennent meilleurs.
4 – Limites et problèmes
L’école est fragile parce que l’environnement est difficile, parce que cela dépend de conditions particulières, de l’investissement des enseignants, de la présence de cet IEN.
Les enseignants sont d’une excessive sensibilité face aux problèmes et difficultés. On repère aussi un rapport complexe avec les autres enseignants, notamment les remplaçants. Plus une école est expérimentale, plus elle risque d’être difficilement transférable. Les autres personnels, psy scolaire ou infirmière notamment, peuvent avoir l’impression que leur espace d’intervention peut être compromis. Les autres enseignants se sentent parfois en concurrence.
Pour les élèves, tous ne profitent pas des évolutions. On repère aussi des variations selon les classes et les années.
Au sujet de la transférabilité, il y a toujours une part spéculative : qu’est-ce qui est transférable et qu’est-ce qui ne l’est pas ?
Le système est globalement positif pour les élèves. Il est difficilement transférable parce que cela demande un investissement important, des compétences professionnelles de haut niveau qui ne s’acquièrent pas dans les cadres classiques de la formation des maîtres en France. Dès qu’on généralise les expériences, cela ne fonctionne plus de la même manière. La mise en œuvre de ce système nécessite une croyance.
Au sujet de la transférabilité d’éléments de ce système, c’est risqué parce que chaque élément fait partie d’un ensemble qui donne sens. C’est néanmoins possible à tester.
Conclusion :
1 – Le bilan est très positif, ce qui est rarissime.
2 – A l’opposé de nombre de discours, on a pu montrer que la pédagogie était efficiente au-delà des contextes particuliers, dans un contexte difficile.
3 – Ceci montre qu’il est possible d’obtenir des effets des non-négligeables avec des enfants issus de milieux très défavorisés.
4 – Ce sont les maîtres qui ont réalisé le plus difficile de cette recherche.